ZHANG, Lun

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Lun Zhang est chercheur en sociologie à l'École des hautes études en sciences sociales. Il a participé activement au soulèvement de la place Tian'anmen, en 1989, et fait partie des principales figures de la vie publique en Chine depuis vingt ans. Président-adjoint de la Fédération pour la démocratie en Chine dans les années 1980, il a également mené, dans son pays, plusieurs grandes enquêtes d'opinion et publié diverses analyses du changement social, en tant que sociologue et économiste. Recherché par les autorités chinoises, durant plusieurs mois, il a quitté clandestinement son pays, en 1990, pour s'exiler en France, où il vit actuellement (prés. éd. Fayard)

A l'occasion de la sortie de la BD TIANANMEN 1989 j'ai pu échanger avec M. Zhang dont je retranscrit, en plus synthétisé ses propos qui, je l'espère sont le plus fidèle qu'il soit à notre conversation.

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TIANANMEN 1989 : NOS ESPOIRS BRISES de Zhang Lun, témoignage et documentation, Adrien GOMBEAUD, scénariste et AMEZIANE, illustrations Ed. Seuil, Delcourt, 2019

Comment s’est faite cette bande dessinée, avez-vous souhaité cette forme de narration qui, bien que très détaillée au point de vue documentaire, prend un peu de recul avec les personnages et les émotions ?

C’est l’éditeur qui m’a contacté sur ce projet pour leur collection retraçant des grands faits historiques.

Lorsque j’ai commencé à collaborer, je n’avais pas vraiment connaissance de la bande dessinée occidentale et c’est pourquoi j’ai surtout privilégié cette forme de narration. Peut-être que ce recul permet de mieux appréhender les faits sans se laisser emporter par les émotions.

Cela a pris du temps car j’ai souhaité apporter un maximum d’éléments (photographies et autres documents) pour permettre à mes collaborateurs de rendre au plus juste les faits de cette tragédie. J’ai juste ajouté quelques personnages fictifs pour rendre plus vivant les scènes mais ils sont le reflet des personnes qui ont vécu les événements.

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Vous êtes plus habitué à des textes plus scientifiques : quels lecteurs souhaitez vous toucher par cette BD ?

Je souhaite informer un plus grand public, les plus jeunes aussi car nombreuses personnes pensent que cette tragédie est une révolte.

Mon but est surtout de restituer la réalité de ce mouvement : ce malentendu est aussi accentué par les déclarations de l’époque du gouvernement, affirmant que les manifestants souhaitaient renverser le pouvoir, ce qui n’était pas le cas.

Est-ce que les médias de l’époque n’ont pas influencé notre perception de l’Histoire avec des images très fortes et symboliques ?

Je ne pense pas que les médias aient accentué ce malentendu : les images qui ont fait le tour du monde étaient très fortes mais exprimaient bien la situation. L’image de cet homme, seul, minuscule et désarmé face aux chars, c’était bien ce que nous ressentions.

Il faut juste faire des efforts pour mieux comprendre ce qui s’est vraiment passé. Les français, beaucoup plus ouverts sur le monde, se sont un peu approprié cette histoire en lien avec leur propre histoire et souvenirs collectifs. Mais ils avaient déjà de nombreux acquis : droit de vote, etc ce qui n’était pas notre cas. Ce n’était donc pas une révolte mais une demande d’ouverture, de plus de démocratie. Si nous avions voulu renverser le gouvernement nous n'aurions pas fait une grève de la faim pour nous faire entendre.

Il est important de garder en mémoire ces événements et c’est pourquoi je me bats aujourd’hui, et le rendre accessible aux plus jeunes, surtout, d’autant que l’actualité est un écho à 1989.

Tant que l’on ne comprendra pas bien ce qui s’est passé en 1989, on ne peut pas comprendre la Chine d’aujourd’hui, ce qui se passe en ce moment.

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Ce que nous vivons aujourd’hui est une continuité de 1989… Ne seriez-vous pas tenté pour faire une suite à cette BD ?

Je ne serai pas contre faire une suite à Tian'anmen dans quelques temps, si l’éditeur, bien qu’ayant arrêté la collection, le souhaite. Je souhaite pouvoir transmettre aux plus jeunes, au grand public cette mémoire, par cette BD ou toute autre forme.

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Vous évoquez la jeunesse et cette mémoire collective qu’il faut préserver : quelle information ont les jeunes chinois, de Hong-Kong ou hors de Chine ?

Si les étudiants Hongkongais sont au fait de leur histoire, le problème se pose pour les autres jeunes chinois, et surtout pour ceux qui viennent étudier à l’étranger. Leurs parents, pour leur sécurité et leur avenir se sont autocensurés. Les étudiants arrivent sans avoir entendu parler de Tiananmen mais surtout refusent de l’entendre pour beaucoup. Pour eux c’est un traumatisme. Mais c’est à eux de retravailler leur perception de leur propre histoire : un jour ils comprendront mais ce sera d’autant plus violent.

On ne peut pas faire ce travail à leur place. Les étudiants hongkongais quant à eux sont au fait et bien informés, avec un sens critique très fort, ce qui est fondamental.