DOLE Antoine

RENCONTRE AVEC... ANTOINE DOLE

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Tout d'abord connu pour ses romans publiés dans des collections "ados" et "jeunes adultes", Antoine Dole s'est fait connaitre ensuite par un plus large public avec la célèbre BD Mortelle Adèle sous le nom de Mr Tan. Antoine Dole est aussi un passionné du Japon et nous venons à sa rencontre pour évoquer ce pays avec lui, son roman Ueno Park, son manga 4life et son prochain album à paraître chez nobi-nobi

Pour tout connaitre d'Antoine Dole : www.antoinedole.com

4life 1/ Le crépuscule et 2/ Aube - ill. par Vinhnyu Ed. Glénat manga

Ueno park Ed. Actes sud junior

Des jurs heureux - Seng Soun Ratanavanh​ Ed. nobi nobi (mars 2019)

 –Comment avez-vous découvert la culture japonaise et ce qui vous attire le plus?

Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai d’abord été au contact de la culture japonaise par les dessins animés qui étaient diffusés dans les programmes pour enfants, comme le Club Dorothée. Par la suite, en lisant des mangas, je ressentais une frustration car j’avais la sensation de voir une porte s’entrouvrir sur un autre monde, une autre culture, sans en comprendre tous les codes. J’ai eu envie de découvrir les lieux où vivaient mes héros préférés, comprendre leurs habitudes et coutumes. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser au vrai Japon, pas celui que j’avais découvert au filtre des animés et des mangas et sa vision idyllique. J’ai découvert un pays qui me parlait de résilience, capable de se relever après chaque séisme, chaque typhon, chaque catastrophe, avec dignité et l’envie de se reconstruire. Cela m’a beaucoup parlé, humainement, cette idée que tout ce qui nous met à terre est une épreuve qui nous permet d'avancer et de s'améliorer.  

 – Vous avez voyagé au Japon, est-ce différent de l’idée que vous vous en faisiez ?

J’ai d’abord découvert Tokyo et son effervescence en 2015, avant de rencontrer un Japon plus traditionnel et populaire dans les rues d’Osaka et Kyoto en 2017. C’était à la fois différent et semblable à ce que j’avais imaginé. Car au delà des décors qui peuvent sembler familiers quand on a dévoré des photos et des livres sur le sujet pendant des années, il y a toute une partie de cette découverte qui n’est pas préhensible : moi qui ne parle pas japonais, je me suis retrouvé dans un pays où le langage n’est plus un repère. Cela laisse une place à quelque chose de beaucoup plus humain, à une émotion particulière, à une vibration toute autre. La communication avec l’autre se fait sur un autre registre et cela a été une véritable découverte pour moi, notamment sur ce qui nous lie les uns aux autres dans les moments de contemplations comme c'est le cas dans les temples et le reste. 

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 – Dans vos romans, nous retrouvons souvent plusieurs voix. Ce sont huit personnages dans Ueno Park, Pourquoi cette forme de narration ?

Dans Ueno Park cela permet d’éclairer la lecture sous différents angles. Chacun de ces personnages est le prisme d’un même sujet, auquel il répond avec les clés qui lui sont propres. Ueno Park s’intéresse à la solitude et à la façon dont on peut revenir dans le mouvement quand tout s'est interrompu autour de nous. L’éclosion des cerisiers lors des célébrations de Hanami était un symbole fort pour aborder ce thème, car on y célèbre le renouveau et la renaissance de la nature. J’aime assez l’idée que huit inconnus, qui ont chacun une vie différente, peuvent ressentir la même chose à un moment donné, et avoir le besoin de dépasser cela côte à côte. Cela nous montre que nous ne sommes jamais tout à fait seul dans nos instants de ténèbres. 

 – Vous évoquez souvent le mal-être des ados. La société japonaise est peut-être plus dure encore : qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez ces ados japonais? Sont-ils si différents des ados français, vous êtes-vous documenté pour l’écriture ?

Je me suis documenté pour ne pas faire d’impair dans mes écrits, mais l’idée n’est pas d’écrire un documentaire et je pense que la littérature offre cette liberté d’interpréter à sa façon des phénomènes sociaux, à la lecture d’un personnage de fiction. Notre société occidentale est une société de cris, dans laquelle on encourage constamment les gens à exprimer les choses, à se déverser, à se répandre. On est une société de bruits et c’est quelque part un système très adolescent, cet empressement que nous avons à commenter, donner notre avis, critiquer publiquement, remettre en question, sans toujours prendre le temps de réfléchir et d'avoir du recul. A l’inverse, la société japonaise, pour ce que j’en ai vu, est plus feutrée. Il est difficile là-bas d’exprimer une douleur personnelle ou un questionnement dissident, car les voix sont presque toujours au service du groupe et non de l’individu. Cela a ses bons et ses mauvais côtés. J’imagine que cela doit être difficile, à un âge d’effervescence comme l’adolescence, de contenir un mal-être pour ne pas faire de vague. 

 – Comment sont nées l’histoire et la collaboration avec Gilles Abier pour Konnichiwa Martin / Salut Hiraku ?

C’est d’abord une histoire d’amitié. Gilles et moi nous connaissions depuis quelques années et nous avions envie de partager un livre. La collection Boomerang des éditions du Rouergue permet à deux auteurs de mélanger leurs voix et leurs univers et nous avons saisi cette occasion. Gilles est, comme moi, un français amoureux du Japon. Il était assez évident pour nous que nous voulions raconter la rencontre de ces deux cultures. Alors naturellement, cela a pris la forme d’une correspondance entre un petit français qui habite les alpes, et cette jeune japonaise à laquelle Gilles a donné vie. 

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 – Vous êtes devenu auteur de BD et même mangaka. Comment passe-t-on de l’écriture d’un roman à un manga ? 

Pour moi c’est sensiblement la même chose. Le manga permet de retrouver l’intensité du roman, car la pagination est beaucoup plus importante que sur les formats de BD européens plus classiques. On a la possibilité d’incarner en profondeur des personnages, des sujets, tout en prenant le temps de la contemplation et de l’exploration. Jusque là, j’avais l’impression d’être auteur de roman d’un côté et scénariste de BD de l’autre, et  pour moi le manga a réconcilié ses deux casquettes. C’est à la fois l’intensité d’un roman et la fulgurance graphique que j’aime trouver dans les BD. C’est la rencontre de ces deux énergies. 

 – Ecrire un manga est très contraignant : moins de liberté dans la narration et beaucoup de concertation avec l’illustrateur et l’éditeur : comment  travaillez-vous ?

Je ne suis pas forcément d’accord avec ça, car je pense qu’on est très libre au contraire. Il y a des codes à respecter sur la forme, et beaucoup s’enferment dans ces codes, mais si l’on parvient à s’en affranchir alors on peut prendre beaucoup de plaisir à donner forme à une histoire singulière. Par exemple, je viens de terminer une série fantastique mêlant le survival horror et le récit intime, et j’enchaîne en ce moment sur une histoire plus sensible sur la question du deuil. C’est très libre et la narration peut se réinventer à chaque fois. Après, ce sont surtout des discussions avec l’éditeur et l’illustrateur pour trouver les réglages qui conviennent à chacun, le tout étant de faire un livre que nous serons tous fiers d’accompagner ensuite. Généralement, j’écris tout mon scénario, chapitre par chapitre, puis l’éditeur valide l’ensemble et dans un second temps, l’illustrateur va donner vie à mon script à travers ses dessins. La mécanique est sensiblement la même que sur une bd plus classique, nous ne sommes pas sur les rythmes et les moyens de production des mangakas japonais qui s'entourent d'assistants.

 – Vous connaissez bien les mangas : y a-t-il une identité propre au manga français ? Les auteurs travaillent-ils comme au Japon ? Comment imaginez-vous son développement ?

Le manga français bénéficie d’un système éditorial totalement différent. Au Japon, toute la production manga est financée par la prépublication dans les magazines. Cela signifie que tous les titres que vous découvrez en librairie ont d’abord été publiés dans des magazines. Cela implique qu’ils ont été conçus pour plaire à des lectorats très définis, à des cibles précises. Il y a les mangas pour filles, les mangas pour garçons, les mangas pour ados, les mangas pour trentenaires, les mangas qui parle de romance, de jeux vidéo, de monstres, etc… Tout est très codifié et enferme les récits dans des cases. En France, nos créations ne doivent pas passer par ce cahier des charges, et nous avons donc la possibilité en étant directement édité en livre de pouvoir proposer des récits plus hybrides, avec des identités qui brouillent les frontières éditoriales. C’est intéressant car finalement, nous avons une liberté beaucoup plus grande sur ce que nous souhaitons raconter à travers ce média. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les éditeurs japonais s’intéressent de plus en plus aux mangas produits en France : ils y trouvent une diversité et une fraicheur, alors que le manga japonais peine un peu à se renouveler. Un symbole fort de cet élan, c'est l'adaption du manga Radiant en animé directement au Japon, c'est une grande première et qui laisse présager le meilleur pour les prochaines années. 

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 – Bientôt un album chez nobi nobi qui a pour habitude d’éditer des auteurs japonais. Pouvez-vous nous présenter cet album ?

L’album s’intitule « Les jours heureux », et il est illustré par l'artiste Seng Soun Ratanavanh. Toutes les illustrations sont réalisées sur des planches de bois à la peinture acrylique. « Les jours heureux » raconte l’histoire d’un frère et d’une sœur, qui chaque année voient Hanami (l’éclosion des cerisiers) comme l’occasion d’un rendez-vous avec les souvenirs. Ils arpentent la ville et se remémorent les jours heureux, du temps où leur mère était encore près d’eux. 

 – Comment est-il né, avez-vous collaboré avec l’illustrateur et comment avez-vous rencontré l’éditeur ?

« Les jours heureux » est né de différents haikus que j’ai écrits lors de mon second voyage au Japon. La ville se métamorphose totalement pendant Hanami et je trouvais à la fois très poétique et très triste cette célébration de l’éphémère qui, dans notre culture, renvoie plutôt à une forme d’angoisse et de peur. Quand vous vous promenez dans Ueno Park, la densité de fleurs qui recouvrent les arbres provoque des zones d’ombres ça et là dans le parc, mais le soleil est toujours présent si on le cherche entre les branches. C'est une sensation réconfortante de trouver de la lumière dans l'obscurité. Pour moi, cela parlait du souvenir, et de cette idée que la chaleur et la lumière de ceux-ci trouvent toujours un chemin à travers les ombres et que c’est ce qu’il faut retenir : les jours heureux. J’avais envie de raconter cela. J’aimais beaucoup la  production de Nobi Nobi et je trouvais cohérent de proposer ce texte à un éditeur qui accompagne avec justesse cette sensibilité si particulière. L’univers de Seng Soun était parfait pour donner vie à ces textes et je l’ai laissée totalement libre de donner vie à sa propre interprétation. Sur un album comme celui là, il était important que chacun de nous puisse exprimer quelque chose qui lui est propre, car le sujet de l'absence est un sujet intime. Elle a notamment proposé que des éléments de chaque illustration soient absents et laissent apparaître le bois brut, j'ai trouvé que c'était une très belle idée. 

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 – Vous vous êtes exercé à différentes formes de narrations et genres. N’êtes-vous pas tenté par d’autres formes d’expressions comme la photo par exemple ?

J’ai publié un livre photo chez Omaké books en 2017, et j’aurai la chance d’en publier un second chez Glénat Editions courant 2019. La photographie est un moyen d'expression que j'apprécie particulièrement, et je pratique la Toy Photography depuis quelques années à présent. C’est une chance de pouvoir m’exprimer de différentes façons, et surtout, d’avoir des éditeurs qui me confiance pour le faire. 

 

 – Avez-vous d’autres projets autour du Japon ? Pouvez-vous nous parler de vos projets ?

Je travaille actuellement sur un nouveau manga, qui paraitra chez Glénat Manga fin 2019. J’ai aussi commencé l’écriture d’un nouveau roman dont une partie se déroule là-bas. C’est un pays que j’ai envie de continuer à explorer et j’y retourne dans quelques mois. Peut-être que de nouveaux livres pourront naître de ce prochain voyage. Je l'espère en tout cas.