NEJAT LE PETIT NOMADE

"NEJAT LE PETIT NOMADE D"AFGHANISTAN"  Michel Montesinos éd. Rouge et or (l'enfant et l'univers), 1975

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Tu vas peut-être avant toute chose me demander de quel pays je suis? Quelle est ma nationalité? En réalité il m'est bien difficile de te répondre. Tout d'abord je suis un petit nomade. Comme mon père est nomade. Et comme le furent mes grands-parents et tous mes ancêtres. Aussi, depuis des siècles et des siècles nous n'avons pas de vraie patrie. Il y a des gens qui disent que nous sommes des afghans. Il y en a d'autres qui disent que nous sommes des Pathans du Pakistan. Pour moi, cela ne fait pas beaucoup de différence. Mais d'abord je me présente. Je m'appelle Nejat. Je vis sous une grande tente noire, la khaimah. En hiver, j'habite au Pakistan. Au printemps, avec toute ma famille, nous franchissons la frontière pour aller passer l'été dans les hautes montagnes d'Afghanistan, où nos moutons, nos chèvres et nos chameaux pourront brouter l'herbe des pâturages. Puis, lorsqu'il commence à faire un peu froid, mes parents plient les grandes tentes noires et nous repartons vers les plaines du Pakistan, où il fait plus chaud pour les bêtes. Comme nous n'avons pas de vraies maisons et que nous voyageons beaucoup, les gens nous appellent Kouchi, c'est à dire ceux qui partent. Il y a beaucoup de Kouchi en Afghanistan. Peut-être plusieurs millions. Je ne sais pas vraiment. Le gouvernement ne nous a pas comptés. C'est mon ami Mochel qui me l'a dit.

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Michel Montessinos c'est un explorateur. Il est venu nous voir pour tourner un film sur notre vie. Il a une grosse voiture qui peut aller partout : dans l'eau, dans le sable, sur les montagnes. Et qui peut transporter beaucoup de voyageurs et de bagages. Sa voiture va beaucoup plus vite qu'un chameau. Il m'a promis de m'emmener avec lui. Alors nous sommes devenus amis. Depuis ce jour, je lui ai montré notre camp, nos montagnes, nos troupeaux et le pays d'Afghanistan.

Je ne suis pas allé à l'école mais papa m'a expliqué la géographie. Quand on voyage beaucoup on doit savoir où on va. A l'ouest se trouve l'Iran c'est un pays qui ressemble à l'Afghabistan, mais les gens s'habillent différemment. Comme nous, les afghans portent le turban et le piran-tomban, c'est à dire la chemise à longs pans et le pantalon bouffant.  Au nord il y a le pays des russes. Eux ils sont riches et très puissants. Ils ont beaucoup d'armes et de très beaux fusils. Ici on dit qu'ils sont mauvais parce qu'ils n'ont pas le livre saint, le coran. Pourtant ce sont eux qui aident l'Afghanistan. Ils construisent les routes, les barrages, les fabriques. Ils donnent des avions, des camions et des voitures.

Et puis il y a le Pakistan. C'est un pays peu différent de l'Afghanistan, jusqu'au grand fleuve l'Indus, et pùis il y a des hommes qui parlent notre langue : le pachtou. Le pachtou est aussi parlé en Afghanistan. C'est la langue nationale avec le persan.  Nous avons bien de la chance de pouvoir nous faire comprendre par tout le monde quand nous changeons de pays. Je me demande à quoi peuvent bien pouvoir servir les frontières ; pour nous les frontières n'existent pas. Nos caravanes passent par des chemins de montagne très accidentés et loin de tout. Personne ne nous voit passer.

"L'Afghanistan m'a dit Michel est plus grand que mon pays. Mais c'est un pays pauvre.'

Il y a beaucoup de montagnes, comme les monts Soleiman et la chaine de l'hindou-kouch. Certaines de ces montagnes sont si hautes que parfois on ne voit pas le ciel.  Et puis il y a les grands déserts du sud où on ne trouve que sable, cailloux et poussière. Nous n'aimons pas le désert car pour nous c'est le pays de la mort. Il y fait si chaud que l'eau des pluies s'évapore instantanément.

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Au printemps quand il pleut les averses sont torentielles. Aussi les lits des rivières, les roud, pour la plupart du temps à sec, se transforment en véritable fleuves dont les eaux arrachent tout sur leur passage. Aussi, lorsque nous installons nos campements, mes parents prennent bien soin de ne pas planter les tentes trop près des rivières.

C'est à cette saison que les plaines du sud sse couvrent d'herbes et de fleurs magnifiques. Mais celles-ci sont souvent empoisonnées, et ce qui peut paraitre un paradis n'est qu'un champ de la mort pour nos troupeaux.

Les pistes que suivent nos caravanes sont très anciennes. Mes parents et mes oncles connaissent bien les endroits où se trouvent les puits. Quand ces puits ne sont que de grands trous boueux, heureusement pour nous, il pousse dans les déserts un petit fruit merveilleux. C'est un petit melon sauvage, tout jaune, gros comme une pomme. Après avoir marché longtemps dans la poussière et sous un soleil brûlant, nous nous régalons de sa fraîcheur. C'est un véritable don du ciel. Il ne faut pas que tu croies que pendant nos voyages nous ne traversons que des pays d'enfer. 

Je vais te parler maintenant de la route que nous suivons après avoir quitté les plaines du Pakistan pour nous rendre sur les hauts pâturages de l'hindou-kouchi.

Après deux ou trois jours de marche, nous commençons à monter dans les montagnes Soleiman. La traversée est longue et difficile. Partout il y a des rochers noirs. Comme si le soleil les avaient brîlés. Mon grand-père m'a raconté un jour que ces pierres avaient été noircies par le sang des anglais. Ceux-ci étaient venus nous faire la guerre et nous les avons vaillammant chassés d'Afghanistan. En réalité ils ont tous été tués. Michel m'a dit qu'il n'était resté qu'un seul survivant. C'était un médecin qui avait réussi à échapper au massacre et qui a raconté aux gens de son pays combien nous étions méchants. Ceci se passait il y a plus de cent ans.

Ce n'est pas vrai que nous sommes méchants. Nous aimons bien nous promener armés. Papa, mon grand-père et mes oncles ont chacun un fusil. Mais ne crois pas que nous voulons faire la guerre.

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Dans les régions que nous traversons il y a beaucoup de bêtes féroces : des loups, des chacals, des hyènes, des chats sauvages, des lynx. Et parce que nous n'avons pas de murs pour nous protéger, nous et nos bêtes, il est préférable d'être bien armé. Il faut aussi se défendre contre les voleurs.

Nous les kouchi nous sommes très hospitaluers et aimons beaucoup les étrangers qui voyagent. A condition bien sûr qu'ils respectent nos coutumes. Quand un étranger entre dans notre camp, il reçoit notre protection et s'il a des ennemis, nous saurons le défendre. Cela fait partie de notre code de l'honneur.

Après avoir traversé les monts Soleiman, nous arrivons dans les plaines cultivées. Nous nous y reposons pendant quelques jours, parfois quelques semaines si l'hiver est tardif et que les neiges couvrent encore les plateaux.

Alors papa et mes oncles vont aidé aux travaux des champs. En échange de quoi, nous pouvons planter nos tentes, laisser pâturer nos troupeaux et obtenir du blé. Les hommes qui habitent les plaines étaient autrefois des nomades. Ils se sont sédentarisés depuis plusieurs générations et cultivent le blé, des raisins, des melons, du cotons. Ils ont de grandes maisons fortifiées, les qala, qui ont des murs si hauts qu'il est impossible de voir ce qui se passe à l'intérieur. Ils sont très riches et très puissants. Comme nous ce sont des pachtouns. C'est un de leurs cousins qui est président de la république afghane : le prince Daoud.

Il faut que tu saches que les pachtouns sont tous frères ou cousins. Les pachtouns forment des grandes familles : ce sont les tribus. Elles portent le même nom. Ces tribus sont divisées en cllan.

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Moi, j'appartiens à la tribu des Ghilzai et au clan Ahmedzai.

Après cette halte, nous quittons les plaines et de nouveau nous montons vers les pâturages. La montée dure des jours et des nuits. C'est très fatigant, car il commence à faire chaud pendant la journée. Pour ne pas souffrir de la chaleur, voilà ce que nous faisons : il fait encore nuit noire. Maman nous réveille. Vite, il faut tout ranger. Plier les tentes, remplir les sacs, charger les chameaux. Et nous voilà partis. Nous marchons pendant huit à douze heures. Quand nous, les enfants, nous sommes trop fatigués, nous voyageons sur le dos des ânes et des chameaux. Moi je suis déjà trop grand pour me faire transporter. Les kouchi ont toujours l'habitude de marcher à côté des bêtes, qui ne sont faites que pour transporter les bagages. Ceux qui sont très riches et très puissants, ceux-là ont de beaux chevaux. Ce sont les chefs et leurs femmes ne voyagent jamais à pied. 

Comme les caravanes prennent toujours la même route, dans chaque vallée, dans chaque vallon, nous avons un emplacement habituel pour nos campements. Quand la caravane s'arrête, il fait bien chaud, le soleil est déjà très haut dans le ciel. Pendant que maman et mes grandes soeurs montent les tentes, papa et mes oncles bavardent, examinent les chameaux et prennent un peu de repos. Car, pour eux, il faudra repartir tout à l'heure avec les moutons et les chèvres. Avec mes soeurs j'aide maman à ranger les bagages sous la tente. Notre grande tente noire, la khaimah, est faite de poils de chèvre et de chameau. On dit qu'elle est noire : mais en fait elle est brune quand on la voit de près. La toile est soutenue par neuf piquets de bois. Quand nous restons longtemps au même endroit, nous construisons un petit mur de pierre tout autour pour nous proyéger du vent et du frois et des bêtes. Alors notre tente ressemble à une maison très basse, dont le toit serait fait de toile. Le campement est installé.

Je vais chercher des broussailles pour faire le feu. En Afghanistan il n'y a pas beaucoup d'arbres. Ceux qui en ont les enferment derrière le mur de leur jardin. Aussi, pour nous chauffer, nous devons nous contenter de brindilles, d'herbes sèches d'épineux rabougris.

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Pendant ce temps maman prépare la pâte pour faire le pain. Elle prend un peu de farine de blé, un peu d'eau qu'elle mélange puis elle pétrit le tout. Quand la pâte est bien homogène, elle la laisse reposer.

Puis elle va traire les chèvres et les brebis. Avec le lait elle prépare le fromage blanc et le yaourt. Avec le yaourt elle fait aussi une boisson très rafraichissante en rajoutant un peu de sel et de l'eau : cette boisson s'appelle dough.

Pour faire la cuisine, maman construit un foyer avec de grosses pierres plates et place le trépied de fonte au dessus du feu. Il ne reste plus qu'à cuire le pain. Elle prend une boule de pête qu'elle réduit en une mince feuille ronde, le chapati.. Deux trois gestes de mains, elle pose le chapati sur la plaque de fonte, le tandour. En un instant le pain est cuit. Michel m'a dit que le chapati  ressemblait aux crêpes de son pays. Quand le chapati est bien chaud, c'est vraiment délicieux de le manger avec du fromage blanc. Nous en mangeons tous les jours.

Maintenant il faut que je te présente ma famille

Sous notre tente, nous sommes huit personnes. Tout d'abord mon grand-père, qui est déjà très vieux. Il a une grande barbe blanche. Mais il est encore très robuste : il peut marcher des jours et des jours sans être fatigué. C'est lui qui commande. Nous lui devons respect et obeissance. Sa femme, ma grand-mère, est la fille d'un chef. Mon grand-père a pu l'épouser parce qu'il était brave et bon tireur. Mon père est le fils ainé de mon grand-père. Chez nous, il est de coutume que le fils ainé reste sous la tente de son père. C'est lui qui héritera de l'autorité du clan. Maman est une cousine de papa. Elle est très belle et très jeune. Elle est la mère de quatre enfants, dont je suis l'ainé. Plus tard, c'est moi qui vivrait sous la tente avec mes parents. Jusqu'à leur mort. J'ai deux soeurs, Belkis et Leila, et un petit frère Omar.

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Comme notre vie est très dure, celui qui n'est pas assez fort pour résister, quand il est jeune, il mourra, car nous n'avons ni médecins ni hôpitaux pour nous soigner quand nous sommes malades. Ceux qui sont forts vivent très vieux. J'ai encore un vieil oncle qui a cent douze ans. Notre vie se passe sous le ciel et les étoiles, au milieu de la nature et de ses caprices. C'est dieu qui nous protège et nous n'avons qu'à faire sa volonté. Quand nous sommes mauvais, il nous punit.Il ne nous envoie plus de pluies et nos bêtes n'ont plus d'herbe à manger. Alors c'est la famine, les épidémies.

Dans notre campement il y a sept autres tentes. Ce sont celles de mes oncles. Nous formons vraiment une grande famille puisque nous sommes cinquante trois personnes.

Il ne faut pas que j'oublie les chameaux, lrs ânes, les moutons et les chèvres. Mon oncle Nader qui est le plus jeune frère de mon père, les connait tous. C'est lui qui les garde. Parfois je vais avec lui passer la journée sur les pâturages. Pour l'aider à garder les bêtes, Nader se fait toujours accompagné par trois de nos chiens. Chaque tente a deux chiens. Ils sont très gros. Presque de la taille d'un veau. Ils ont l'habitude de se battre avec les loups, car ils sont très forts et très féroces. Nous leur coupons les oreilles dès la naissance, pour éviter une prise facile à la morsure des loups qui attaquent la nuit. A partir de deux ans lorsqu'ils ont atteint l'âge adulte, nous faisons combattre les chiens entre eux. Mais ce n'est qu'un jeu. Ils me connaissent bien et sont très gentils avec moi.

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Quand les chèvres et les moutons reviennent des pâtureges, il faut les traire. Une fois par an, papa et mes oncles les tondent. La tonte a lieu à la fin du printemps. Avec la laine, maman et mes tantes font des tapis, les kilim de couleur brune et beige. La laine sert aussi à fabriquer des sacs pour les provisions, les toiles de tente, les cordages. La laine que nous n'utilisons pas, papa va la vendre dans les villes.

Je l'ai dit que nous avons des fusils. En réalité, nous nous en servons de temps à autre. Lorsque nous sommes dans les montagnes du centre de l'Afghanistan, nous rencontrons des paysans avec qui nous ne sommes pas très bons amis. Il y a souvent des disputes. Ces paysans sont des hazaras. Ils ne nous ressemblent pas et ne parlent pas notre langue. Ils disent que nous sommes des voleurs.

Lorsque nous passons sur leurs terres, il est fréquent que nos troupeaux marchent dans leurs champs et qu'ils mangent les récoltes. Les hazaras ne sont pas contents et veulent nous punir.

Il y a deux ans, il s'est déroulé une grande bataille entre les hazaras et nous. Un matin, ils nous ont attaqué et nous ont pris des moutons. Alors mon grand-père, papa et mes oncles se sont réunis en conseil de guerre. Puis ils sont partis chercher d'autres kouchi dans les campements voisins. C'était une véritable armée d'une centaine d'hommes. Ils ont encerclé le village des hazaras et pendant toute la journée nous avons entendu des coups de feu et des clameurs. La bataille a duré très tard dans la nuit. Quand papa est revenu, il était très fier mais ses vêtements étaient tout déchirés. Il avait reçu une balle dans le bras droit. Et il a dit à maman : "Nous avons gagné. Il y a beaucoup de morts chez les hazaras. Malheureusement deux de mes cousins ont été tués. Nous avons aussi quelques blessés, mais nous avons retrouvé nos moutons." 

Heureusement les disputes comme celles-ci sont rares.

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Bien sûr, nous devons sans cesse défendre nos territoires. Parfois entre nomades il y a des querelles parce que là où nous avons installé nos campements, les années précédentes, la place est déjà occupée. Dans de pareilles situations, les chefs et les anciens se rencontrent sous la tente et discutent d'un tas de choses très compliquées, souvent pendant plusieurs jours. Et puis tout s'arrange. Les nouveaux venus partent s'installer ailleurs.

Notre problème c'est de trouver de l'eau : mais aussi des endroits où il y a de bons pâturages. L'an dernier il n'y avait plus d'herbe. L'hiver et le printemps avaient été très secs.. Beaucoup de moutons sont morts. Il y a des kouchi qui ont perdu tous leurs troupeaux. Ceux-là ont du rester près des villes et des villages pour trouver du travail. Ils espèrent gagner suffisamment d'argent pour pouvoir acheter des moutons et retourner à la vie nomade, qui est une vie beaucoup plus libre.

Il y a aussi des nomades qui sont riches et qui sont fatigués de toujours marcher. Ils veulent du confort et de la sécurité. Alors ils s'achètent des terres sur lesquelles ils passent l'hiver. Pourtant une fois l'été arrivé, ils ont de nouveau envie de voyager. Et nous les retrouvons sur les pâturages. Les gens qui vivent dans les villes savent faire un tas de choses que nous sommes bien incapables de comprendre, puisque nous n'allons pas à l'école. Je ne sais pas lire ni écrire. Dans notre camp il y a un de mes oncles qui sait lire. C'est un moullah. Le moullah, c'est celui qui sait et qui enseigne. Il nous lit le Coran parce que nous sommes musulmans et nous raconte ce que dieu veut que nous fassions. Mon oncle nous fait faire la prière cinq fois par jour. Deux le matin, deux l'après midi et une le soir. Avant la prière nous devons nous laver les pieds, les mains et la bouche pour nous purifier. Puis nous étalons les tapis par terre et nous nous mettons face à la Mecque, c'est à dire vers l'ouest et mon oncle lit le Coran. Avec lui nous récitons les paroles sacrées.

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Mon oncle est un hadji, un pèlerin. Il est allé à la mecque. Il m'a raconté que c'était très beau, et qu'il y avait des centaines de milliers de pèlerins, venus du monde entier. Quand je serai grand, j'espère devenir un hadji. Et si je suis riche je prendrai l'avion.

En attendant je voudrais bien savoir lire et écrire comme mon ami Michel. Cela me permettrai de mieux comprendre les choses de la vie. Je pourrai aider papa à soigner les bêtes, parce que les remèdes que nous ont appris nos ancêtres ne sont pas toujours suffisants. Le gouvernement ne fait pas grand chose pour nous aider. Lorsque nous allons dans les villes pour voir le médecin, celui-ci nous donne quelques conseils, mais il demande beaucoup d'argent. Ses soins sont souvent inutiles.

Quand Michel m'a demandé ce que je voulais faire quand je serai grand, je lui ai dit : "Je ferai comme mon grand-père, mon père, mes oncles. Je serai un nomade. Parce que c'est une vie libre. A moins d'être pauvre."

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Papa et mes oncles ne se contentent pas de garder les moutons pour vivre. Ils font aussi du commerce. C'est la raison pour laquelle on nous appelle Maldar, ce qui signifie marchands. Au Pakistan, nous achetons des tissus, des ustensiles de cuisine, des cartouches, des fusils. Toutes ces denrées ne sont pas chères et ne sont pas fabriquées en Afghanistan où nous les revendons. On raconte que nous sommes des contrebandiers, puisque nous passons les marchandises en fraude. Toutes ces marchandises sont transportées sur les grands marchés nomades de l'Hindou Kouch, dont le plus important se trouve près de Tchaghcharan et dure de juin à août. Des acheteurs viennent exprès de la capitale, Kaboul, pour se procurer tous ces produits si bon marché.

Et quand nous repartons vers le Pakistan, nous emmenons avec nous des transistors, de la laine, des tapis, des fruits secs, et tout ce qui coûte moins cher que là-bas.

Ce sont les chameaux qui transportent tous ces trésors. Nos chameaux peuvent porter des charges énormes. Presque une tonne. Ils peuvent marcher plusieurs jours et plusieurs nuits sans s'arrêter et sans boire.

Quand nous passons les frontières, les hommes et les chameaux vont par une route. Les femmes et les troupeaux suivent un autre chemin. C'est plus prudent. Quelque fois des gens du gouvernement nous arrêtent. Si papa ne leur donne pas un peu d'argent, pour qu'ils ne disent rien, alors il peut avoir des ennuis.

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Une fois mon oncle Youssouf est resté plus d'un an en prison. Pour obtenir sa libération, mon grand-père a dû vendre vingt moutons. Youssouf m'a raconté que la rison était très sale, que les hommes étaient enfermés dans une grande pièce toute noire et qu'il y avait des rats partout. Il fallait aussi qu'un ami lui apporte à manger, parce qu'on ne nourrit pas les prisonniers.

C'est merveilleux d'être nomade, parce que nous sommes toujours à l'air pur. Le soleil est notre meilleur ami. Avec lui pas besoin de se chauffer. Mais dans les montagnes d'Afghanistan il fait très froid la nuit. En hiver il parait qu'il y a tellement de neige que si deux hommes se mettent debout l'un sur l'autre, la tête de celui qui est au-dessus sera recouverte par la neige. C'est Michel qui m'a raconté cela : Il est venu en plein hiver là où nous vampons cet été.

C'est pour cela que j'aime être nomade : car nous suivons toujours la bonne chaleur tiède du soleil. Pendant que maman fait la cuisine, prépare le fromage et la viande séchées, qu'elle file la laine, tisse les tapis, répare les tentes, va chercher l'eau à la rivière ou confectionne de belles broderies sur ses robes, mon père s'occupe des troupeaux, bavarde avec mes oncles, et reçoivent les autres nomades qui viennent lui rendre visite. Parfois il va à la chasse. Mais il m'a dit que j'étais encore trop jeune pour me servir d'un fusil. C'est un très beau fusil qui vient de Tchecoslovaquie. Papa a aussi une grosse ceinture pleine de cartouches. Moi, je chasse à ma façon avec un lance pierre. J'attrappe des oiseaux. Avec mes cousins nous faisons des courses à âne ou à chameau. Nous jouons aux billes ou au lancer de pierre. Il s'agit de lancer une grosse pierre le plus loin possible d'une autre petite pierre.

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Michel m'a dit que dans ton pays les gens jouent à un jeu similaire qui s'appelle la pétanque. Et il a fait des parties avec nous. Il était très fort et cela faisait beaucoup rire papa quand Michel touchait la pierre et qu'elle volait en mille éclats.

Quand il y a des fêtes chez les nomades, un mariage par exemple, les hommes jouent à un jeu qui n'existe pas chez toi. C'est le neiza bozi, c'est à dire le jeu de la lance et du piquet.

On y joue à cheval. On prend un piquet de bois, on l'enfonce dans le sol, de telle sorte que ce qui dépasse n'est pas plus haut qu'un doigt. Le cavalier prend une lance dans la main droite. Cette lance est deux fois grande comme un homme, et l'une des extrémités est garnie d'une petite fourche à trois dents. Le cavalier lance son cheval au grand galop. Quelqu'un joue du tambour, le dol, pour exciter le cheval et le faire courir encore plus vite. Au moment où il arrive près du piquet, le cavalier baisse sa lance et déterre le piquet. Comme le cheval va très vite, c'est très difficile, et on ne réussit pas à tous les coups. Celui qui a gagné c'est celui qui a déterré le plus de piquets.

Quand il y a une grande fête, et qu'il y a beaucoup de chevaux et de cavaliers, on place les piquets en ligne pour rendre le jeu plus difficile. Il faut en arracher plusieurs à la suite l'un de l'autre. Papa est un champion du neiza bozi. C'est un jeu très ancien. Mon grand-père  m'a raconté que son père jouait au neiza bozi avec les piquets de tente de l'ennemi, lorsqu'il faisait la guerre. L'ennemi était alors pris au piège sous le toit de la tente effondrée. Généralement il n'avait plus qu'à attendre la mort, car il ne pouvait pas en sortir.

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Pour les fêtes il y a aussi des courses de chevaux, des danses et des chansons. Souvent les fêtes durent plusieurs jours, lorsque se marie le fils d'un chef de tribu. On tue le mouton pour faire le méchoui. A chaque fois que l'occasion se présente, nous mangeons du mouton.

Quand Michel était là, nous lui avons préparé un méchoui. Mon grand-père a découpé le mouton, puis avec papa il l'a fait cuire dans un four fait de pierres et de terre. Puis, avec Michel et mes oncles, ils ont mangé les premiers. Chez nous c'est la coutume, les femmes et les enfants attendent toujours que les hommes aient fini de festoyer pour goûter au festin. Comme nous Michel s'est assis par terre et je me suis bien amusé à le regarder manger avec sa main droite. Si ce n'était pas trop difficile de prendre les morceaux de mouton, pour ce qui est du riz, ce fut une autre affaire.

Après le festin, nous avons chanté et dansé. Michel est resté encore quelques jours dans notre campement pour filmer et prendre des photos. Il était très content parce que maman et mes tantes ne faisaient pas de difficultés pour se laisser photographier. Chez les nomades, les femmes n'ont pas l'habitude de se cacher le visage comme dans les villes. Elles n'ont pas peur de montrer leur beauté aux hommes même si ce sont des étrangers. Puis un jour Michel a dit à papa qu'il fallait qu'il parte. Il voulait continuer de visiter l'Afghanistan. Papa aurait bien voulu l'accompagner, mais ce mois-ci il y avait vraiment trop de travail au camp. Michel a demandé à mon oncle Ayatullah s'il voulait faire cette promenade avec lui. Ayatullah a accepté. Papa était d'accord pour que je parte aussi. Michel me l'avait promis le premier jour où il était venu dans notre camp. Ainsi, pendant un mois, j'ai voyagé dans la jeep japonaise et j'ai vu beaucoup de lieux que je n'avais jamais visité. C'était merveilleux. Je crois que je n'oublierai jamais ce beau voyage. J'ai eu beaucoup de chance. Je vais te raconter ce que j'ai vu.

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Tout d'abord j'ai eu très peur, parce que la voiture allait très vite. Je me souvenais du doux et lent balancement des chameaux. Je n'étais pas habitué au bruit du moteur. Cela n'a duré que quelques heures. Ayatullah racontait à Michel ses voyages en camion sur les routes et les pistes. Peu à peu les camions remplacent nos caravanes. Autrefois c'étaient les kouchi qui faisaient tous les transports. Aujourd'hui il y a concurrence. Bientôt nos chameaux ne servirons plus à rien. Et nous nous déplacerons tous en camion.

Michel m'a dit que les camions d'Afghanistan étaient très beaux. Qu'ils étaient les plus beaux camions du monde parce qu'ils sont couverts de pei,ntures. Sur les côtés on peut voir des oiseaux, des tigres, des mosquées, des paysages avec des camions et des voitures, des avions, des bateaux, des trains, des téléphones, des maisons et même des nomades. Les camions afghans sont de vrais livres d'images. La cabine du chauffeur est très décorée avec plein de miroirs. Le capot du moteur est couvert de chromes en forme de coeur, de poisson, de fleur, d'étoile, de soleil, de lune, etc. Lorsque Michel voyait arriver un camion vers nous, il s'arrêtait et prenait des photos. Et il me disait : "Je voudrais que tous les camions de mon pays soient aussi beaux que ceux de ton pays. Ce serait plus gai sur nos routes." C'est vrai que nos camions sont magnifiques avec leurs belles couleurs. Du rouge, du vert, du jaune, du mauve, du noir, du violet, du rose. Mais je préfère la jeep japonaise de Michel, parce qu'elle fait moins de bruit et qu'elle va plus vite.

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Tout d'abord nous sommes allés à Bamyan. C'est un endroit que j'avais déjà visité. Les kouchi y passent quand ils redescendent vers les plaines du Pakistan. A Bamyan il y a de grandes statues que les hommes ont sculptées dans les falaises qui bordent la vallée. Elles sont très hautes. Michel m'a dit que l'une mesurait trente-cinq mètres et l'autre cinquante-cinq mètres. 

Les kouchi croient que ce sont les statues d'un prince et d'une princesse. Mais Michel m'a expliqué qu'elles étaient très anciennes et qu'elles représentaient le Bouddha. Le Bouddha c'est un prophète qui vivait avant notre prophète Mahomet. Près de ces statues il y a beaucoup de grottes où les hommes habitaient. Aujourd'hui, on peut monter sur la tête du Bouddha en grimpant des escaliers sans fin. De lè-haut on a une très belle vue sur la vallée et les montagnes environnantes.

Après Bamyan, nous sommes partis vers l'ouest en direction des lacs de Band-i-Amir. Et nous avons suivi la route des caravanes en passant près du cimetiere des nomades où les tombes sont aussi grandes que des maisons. Il est très surprenant de découvrir des lacs dans cette région où tout est aride et sec. Les montagnes ressemblent à des forteresses et changent de couleur à chaque heure de la journée.

A Band-i-Amir, il y a cinq lacs. Chaque lac est retenu par un barrage. Ces barrages n'ont pas été construits par l'homme. Michel m'a expliqué que l'eau est très calcaire et que pendant des millions d'années, elle avait déposé des couches de ciment calcaire qui avait formé ces barrages. L'eau des lacs est très bleue. Bleue comme une belle pierre d'Afghanistan qui s'appelle le lapis-lazuli. Mais cette eau est très froide et très profonde. Il y a beaucoup de poissons.Michel a voulu en pêcher. En quelques secondes il avait attrapé quatre poissons, qui ressemblent aux truites de ton pays. Ayattulah et moi nous n'en avons pas mangé parce qu'un rite religieux veut que les kouchi ne mangent pas de poisson.

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Après une grande promenade autour des lacs, nous sommes repartis à cheval. Nous avons traversé des gorges profondes, passé des cols qui nous semblaient infranchissables, parcouru des pistes où deux hommes auraient quelques difficultés à se croiser, descendu dans les gouffres aussi noirs que l'enfer. Et après cinq jours de route nous sommes arrivés à Hérat. Avec des chameaux, il nous aurait fallu quinze jours.

A Herat il y a beaucoup de mosquées. Jadis c'était la ville des arts et des lettres. Nous avons visité la vieille ville, la Moussalah, dont il ne reste que six minarets.

Les anglais ont détruit le reste du bâtiment voilà déjà un siècle.. Le plus bel édifice de Herat, c'est la mosquée du vendredi. Elle est vieille de cinq cents ans. Ses murs sont couverts de mosaïque de faïence. Lorsque le soleil vient caresser les parois, elle brille comme les bijoux d'un trésor. Chaque vendredi des milliers d'hommes y viennent pour y dire la prière. On raconte que c'est le plus beau monument d'Afghanistan.

A Herat nous nous sommes promenés dans les bazars. On y trouve de tout : des tapis, des selles, des bottes, des fourrures, de la soie, des cuivres, des fusils et des produits du monde entier.

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Après Herat, nous sommes repartis avec la jeep de Michel vers le nord de l'Afghanistan. En direction de la frontière russe, que nous avons longée pendant des centaines de kilomètres. Pour la jeep c'était très difficile parce qu'il y avait beaucoup de sable. Il fallait s'arrêter tout le temps car notre véhicule s'enlisait. Enfin, après beaucoup de patience, nous sommes arrivés sur la route que les russes ont construite. En quelques heyres nous étions à Balkh.

Balkh c'est la mère des villes. Il n'en reste preque plus rien. Toute autour de la ville vieille de trois mille ans, on a construit des murailles. Derrière ces murailles il y a encore des murailles et des ruines à perte de vue. C'est un peu comme un grand cimetière. Ayattulah et moi nous avons tout de suite voulu repartir. Michel était d'accord et le même soiir nous sommes arrivés à Mazar-e-Sharif.

A Mazar-e-Sharif nous avons vu la tombe d'Ali, qui se trouve à l'intérieur d'une mosquée dont les murs sont bleus. Mais ce qui pour moi fut le plus intéressant, ce fut de voir des bouzkashi.

Le bouzkashi c'est un jeu à cheval qui est différent du neiza bozi. Michel m'a dit que dans son pays il y avait un jeu similaire, le rugby à quinze., mais ici le ballon est remplacé par la dépouille d'un mouton ou d'un veau. Il s"agit de ramasser cette dépouille sans descendre de cheval. Les chevaliers sont très courageux car ils utilisent toutes les techniques pour s'emparer du veau sans peur des coups de fouet, des ruades et des coups de dent des chevaux. Quand l'un d'entre eux a réussi sa prise, il s'enfuit au grand galiop pour aller jeter le veau dans le but qui est un grand cercle tracé sur le sol. Bien sûr les autres cavaliers se lancent à sa poursuite pour tenter de lui ravir sa proie. S'il gagne il a un prix et le jeu recommence. Ce jeu peut durer des heures et des heures jusqu'à épuisement des chevaux. C'est une spécialité du nord de l'Afghanistan et les kouchi n'y jouent jamais.

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Après quelques heures passées dans le nord du pays, nous somes repartis vers Kaboul. C'est la plus grande ville d'Afghanistan. Il y a beaucoup de voitures, de magasins et de gens dans les rues, qui viennent pour faire du commerce. Ayattulah et moi nous n'aimons pas Kaboul. Il y a trop de bruit et ses habitants ne pensent qu'à une chose : gagner de l'argent. Ce n'est pas la même chose chez les kouchi. Bien sûr notre vie est très dure : nous faisons tout pour survivre ; mais enfin nous vivons libres et nous passons des nuits entières à regarder le ciel et ses étoiles. Après Kaboul, nous sommes retournés vers le camp de papa.

Quand je suis arrivé après un mois de voyage, il commençait à faire froid et mon grand-père venait de décider qu'il fallait redescendre vers le Pakistan. La descente est moins longue que la montée ; elle ne dure que cinq ou six semaines et pendant quatre mois je vais retrouver mes amis du Pakistan. Si tu viens nous voir, je t'invite à faire ce long voyage en notre compagnie.

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