EDGAR, Silène

S edgar

Silène Edgar mène, en parallèle de son travail de romancière, des recherches sur Harry Potter, produit des dossiers pédagogiques pour des maisons d’éditions, suit des formations diverses et variées (initiation au scénario à la Femis, médiation culturelle, etc.), et travaille activement avec son cercle d’amis écrivains.
Autrice d’une dizaine de romans jeunesse, dont par exemple le cycle des aventures post-apocalyptiques de Moana, largement inspiré de l’année qu’elle a vécu à Tahiti, Silène Edgar est également la co-autrice de romans écrits à quatre mains avec Paul Beorn : le roman 14-14 met en parallèle deux histoires qu’un siècle sépare, celle d’Adrien en 2014, et celle d’Hadrien en 1914. Il recevra plusieurs prix dont notamment le prix des Incorruptibles 2016. Elle publie ensuite trois romans historiques avec pour ambition d’aborder certaines des grandes déchirures de l’histoire française, Adèle et les noces de la reine Margot, Les Lettres volées et 42 jours. Pour adultes, elle a commencé par publier deux novellas : Fortune Cookies, un court récit d’anticipation sur l’état d’urgence et Féelure, de la fantasy burlesque.

En 2018, elle remet le couvert en jeunesse avec Paul Beorn et s’inspire cette fois-ci de l’univers du jeu de société de Philippe des Pallières et Hervé Marly, Les Loups-Garous de Thiercelieux. Quiconque a déjà joué au jeu de société redécouvrira avec plaisir l’hommage qui lui est rendu dans le roman, autant que le néophyte saura apprécier la densité des aventures des deux jeunes femmes et le rythme échevelé de l’intrigue.

En 2019, elle publie notamment son premier roman pour adultes, Les Affamés, chez Nouveaux Millénaires. Préfacé par Pierre Bordage, le roman nous projette dans une démocrature hygiéniste, dont les apparences républicaines cachent un régime autoritaire, prompt à la censure et à la violence…(source : "Les imaginables")

 

8848m

A propos de son roman "8848 METRES" Ed. Casterman, 2020

1 - Comment êtes-vous venue à l'écriture et pour le jeune lectorat?
L'écriture m'est venue assez tardivement, parce que je lisais trop, je pense, et que j'étais écrasée par le génie de tous ces auteurs merveilleux qui enchantaient mon quotidien. Et puis un jour, une histoire qui me semblait originale m'est venue, je l'ai écrite pour les ados parce que j'enseignais déjà depuis des années et qu'il me semblait être le public auquel je voulais m'adresser. Je vois l'écriture comme une communication et un excellent moyen de se parler d'une génération à l'autre, en respectant l'appréhension si particulière que les ados ont du monde.
 
2 - Vous évoquez dans ce roman les conditions qui vous ont amenées à écrire ce livre. Avant cela, Aviez-vous voyagé en Asie, des intérêts particuliers pour cette région du monde?
Je n'avais jamais voyagé en Asie, malgré un désir profond de visiter différents pays, d'aller à la rencontre de différentes cultures. Mon mari a voyagé en Corée, au Japon, aux Philippines et je l'enviais. Pour le Tibet, c'est particulier, Marion y vit depuis 20 ans alors le désir est là depuis longtemps de lui rendre visite. Son frère et sa femme y ont séjourné, ainsi que sa mère et ils nous racontaient le pays lors des réunions familiales. Bref, nous avions très envie d'y aller en famille : ma fille aînée en rêvait, petite, mais elle était trop petite justement pour supporter le mal des montagnes et nous avons repoussé le voyage familial, je suis partie seule, dans l'idée d'aider Marion à écrire son autobiographie (qui parait en octobre 2020). Qui sait, maintenant, quand nous aurons l'occasion d'y aller ensemble ?
 
3 - En vous rendant à Lhassa, avez-vous trouvé un grand décalage avec ce que vous imaginiez?
Plus ou moins : je n'imaginais pas grand-chose d'autre que ce que Marion m'en avait dit car je sais, en tant que voyageuse, qu'on a mieux fait de ne pas trop fantasmer son voyage si on veut en profiter. Je n'avais donc pas cherché trop d'infos, d'autant que le vieux guide du routard en ma possession avait été écrit en partie par Marion alors je n'avais pas beaucoup d'éléments à y glaner ! J'ai pu me laisser submerger par la beauté des lieux. Je ne m'attendais pas cependant à une ville aussi semblable à n'importe quelle autre ville avec ses voitures en pagaille, ses magasins clinquants et ses hôtels chics. Les endroits plus pauvres sont cachés, comme partout. Moi, j'étais dans un hôtel de routards, c'était plus sympa ! Et j'ai passé mon temps dans la vieille ville plutôt que dans les boutiques chinoises des boulevards. J'ai été subjuguée par les temples, surtout le Jokhang, mais aussi Ramoché, Sera et les petits temples au détour des rues : il n'y a pas de photos de l'intérieur sur internet et leur splendeur m'a bouleversée. Je n'imaginais pas la force de la foi des Tibétains non plus... C'est cela qui m'a le plus marquée.
 
4 - Vous dites avoir été profondément changée, chamboulée... Pouvez-vous nous en dire un peu plus?
C'est un ensemble d'éléments. L'altitude extrême en premier lieu et la beauté des paysages vus d'avion, puis d'un magnifique jardin de montagne qui a été la première chose que je suis allée visiter à la sortie de l'avion. Et puis le lendemain matin, voir tous ces pèlerins faire le tour du Barkhor, les observer depuis la fenêtre de l'hôtel qui donne sur la kora (le circuit circulaire qui entoure le Barkhor au centre duquel se tient le temple du Jokhang), ça a été le second choc suivis de nombreux autres. La gentillesse des Tibétains que je croisais lors de mes longues promenades dans la ville, qui venaient m'offrir du thé dans les salons de thé où je m'asseyais pour écrire. Les longues discussions philosophiques sur le bouddhisme, avec Marion, qi m'ont permis d'appréhender un peu plus (mais alors juste un peu) les notions d'impermanence, d'interdépendance, de semchuk. La présence chinoise bien sûr, mais je n'ai pas très envie d'en parler ici. Je préfère vous parler de la beauté fascinante des temples, du palais du Potala, du jardin du Norbunlingka. J'étais déjà ébranlée par tant de chaleur, de beauté, d'émotions. Et puis je suis allée dans un lieu de pèlerinage dans la montagne, et là, au milieu des yacks, en regardant les chapelles accrochées à la montagne, il y a eu un déclic sur lequel je ne pouvais pas mettre simplement quelques mots. Il a fallu que j'en fasse un livre. 8848 mètres raconte ça.
 
5 - Nombreux auteurs ne se déplacent pas dans le pays évoqué. Qu'est-ce qui a changé pour vous dans l'écriture de ce roman en vous rendant sur place?
Dans le cadre précis du Tibet, je pense que c'était impossible d'écrire sans aller sur place : c'est un pays qui nourrit beaucoup de fantasmes et en donner une image juste suppose d'y être allé, je crois. Et puis concrètement, le roman est né là-bas, je n'y suis pas allée pour l'écrire mais pour un autre livre et 8848 mètres a été conçu en partie sur place, en partie ici. Depuis un an, je travaillais avec Marion sur son autobiographie, je l'interviewais, je transcrivais, elle s'enregistrait aussi quelques fois pour me raconter ce qu'elle voyait. Mais moi, je ne voyais pas et je n'arrivais pas à imaginer le pays. Je n'arrivais pas non plus à comprendre comment un tel pays peut exister, comment le bouddhisme tibétain peut habiter chaque montagne, chaque cours d'eau, chaque pierre parce que je ne suis pas croyante alors je ne savais pas que la foi de ce peuple se projetait partout dans la nature. Matériellement, il y a des drapeaux de prière partout, mais ce n'est pas réductible à du matériel, c'est la façon dont les gens se déplacent dans la nature, dont ils habitent la montagne. C'est difficile à dire parce que j'ai peur que vous ne me preniez pour une illuminée et franchement, parfois, je me disais que ma cousine était un peu illuminée quand elle me le disait... mais les Tibétains habitent la nature d'une manière différente de la nôtre. Ils n'en sont pas les envahisseurs ou les dominateurs. Ils sont en interdépendance avec elle et ça se sent quand on y est.
 
6 - Cette expérience va t-elle interférer dans le procédé de vos prochains travaux d'écriture?
En fait, j'étais déjà persuadée que je devais aller dans les lieux pour écrire, j'ai commencé en 2010 par un premier roman qui se passe en Polynésie parce que j'y vivais au moment de l'écriture : les lieux font naître mes histoires aussi sûrement que leur sujet ou leur thème. Là, j'écris un roman qui se passe en partie en Lettonie parce que je suis tombée amoureuse de ce pays quand j'y suis allée en 2018. Hélas, à cause du covid, je n'ai pas pu y retourner comme prévu... cela me manque, je me nourris sur place pour tout ce qui est paysages bien sûr, mais aussi pour ces mille petits détails qu'on ne connaît qu'en voyageant. En tout cas, dès que je peux, j'y retourne et ce sera la même chose pour chaque livre !
 
7 - Ce voyage vous a t-il donné envie d'écrire de nouvelles aventures en Asie?
Pas exactement, parce que j'ai mesuré ma méconnaissance totale des multiples cultures de cet immense continent et je n'ai pas envie de faire de l'appropriation culturelle ; à moins qu'un pays, une culture ne fasse naître une histoire parce que j'y suis allée en voyage (et c'est insuffisant pour éviter de dire des bêtises, parce qu'un seul voyage est trop court). Peut-être que j'en écrirai d'autres, mais il faudra d'abord que j'ai l'occasion de vivre moi-même quelques temps dans un de ces multiples pays.
 
8 - Vous avez partagé la vie des tibétains... Un souvenir qui vous a marqué :
  . Un son? Le chant des moines du monastère de Ramoché. Le gong et les clochettes qui tintinnabulent quand on tourne le moulin à prière.
  . Une odeur? L'odeur du beurre de yack qui fond dans les temples
  . Un goût ? Le goût du lotus épicé trouvé au marché de Yao Wang Shan
  . Une couleur? L'or, celui qui recouvre les statues et les dragons s'élançant vers le ciel aux quatre coins des toitures
  . Une matière? La douce laine de yack filée par Norhla, une entreprise locale
 
9 - Pouvez-vous nous parler de vos projets?
Je suis donc en train de finir la rédaction d'un roman sur la Lettonie et le rideau de fer, ainsi que des histoires pour les petits lecteurs et la réédition d'un roman d'anticipation sur l'état d'urgence. Comme je ne pourrai sans doute pas voyager dans les mois qui viennent à cause du covid, j'envisage de me lancer ensuite dans un roman de fantasy inspiré en partie de mon expérience tahitienne pour les paysages... ou alors un roman post-apocalyptique qui se passerait dans les Landes. Ou un texte sur la vie d'une jeune fille en prison... après le confinement, peut-être que les lecteurs seront plus à même de comprendre ce que suppose une privation de liberté et la situation des prisons en France est si catastrophique qu'il serait intéressant de le montrer dans un roman. En tout cas, il faudra attendre 2021 !